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Le juge et le site rentable

Le juge et le site rentable

Prenons un exemple concret. En année 1, un entrepreneur décide d’aller sur le marché allemand, les infos en sa possession l’ont convaincu que c’était jouable.

Pendant les années 1 et 2, il développe dans son Bureau d’études des produits adaptés aux prospects allemands qu’il a identifiés et qui seront ses premiers clients quand il fabriquera en série. Il fait des prototypes, les soumet aux prospects qui les valident.

Notre entrepreneur lance la mise en production. Pour cela, il crée une 2ème usine, achète des machines et embauche 50 personnes. On est à la fin de l’année 3. L’investissement total, développement et prototypes compris, est de 5 M€ financés par emprunt et crédit bail.

Evidemment, la nouvelle usine a été calibrée pour une capacité 2 fois supérieure par rapport aux volumes que vont acheter les tous premiers clients. En effet, et notre chef d’entreprise le sait, il n’y a rien de pire pour un nouvel entrant sur un marché que de ne pas pouvoir assurer les livraisons dans des conditions normales de qualité et de délai car, dans ce cas là, on détruit DEFINITIVEMENT sa crédibilité sur le marché qu’on voulait attaquer.

Les années 4 & 5 sont des années de montée progressive en puissance au fur et à mesure que la clientèle s’étoffe. La nouvelle usine est devenue rentable.

Mais la concurrence allemande, qui perd des parts de marché chez les clients concernés, s’organise et propose des produits alternatifs à ceux de notre entrepreneur dont les ventes progressent moins vite en année 6 par rapport aux années 4 et 5.

Pour se battre, notre français augmente ses dépenses de marketing et de publicité, ce qui consomme de la marge.

En année 7 les ventes stagnent. Le français s’efforce de résister à la concurrence en déclinant sa gamme de produits pour de nouvelles applications. L’impact sur le volume des ventes est marginal, mais sans cela il aurait probablement baissé. L’inconvénient est que l’augmentation du nombre de référence à CA constant réduit les volumes par référence et dégrade les prix de revient.

Malgré tous les efforts, l’année 8 voit le CA baisser. L’activité est encore rentable mais notre chef d’entreprise sait que ça n’est qu’une question de temps pour qu’il se mette à perdre de l’argent.

En année 9, quand il a connaissance des comptes arrêtés de l’année 8, notre chef d’entreprise décide d’arrêter l’aventure allemande avant que celle-ci n’emporte toute son entreprise.

Son plan est simple, mais nécessaire : il faut licencier les 50 personnes embauchées en année 3, il négocie avec les banques et les crédit-bailleurs la revente du bâtiment et des machines pour rembourser ses dettes (5 M€). Il a calculé que le licenciement va lui coûter entre 1,5 et 2 M€ selon le plan social négocié avec les partenaires sociaux.

Mais, entre temps, le nouveau ministre de l’économie a décidé qu’il était interdit de fermer les usines rentables sans l’appréciation d’un juge. A la demande des syndicats, le tribunal de commerce se saisit du dossier. Le Président du TC est le gérant du Mac Donald local (ça existe, je l’ai vu). Le jugement est défavorable à la fermeture.

L’entreprise fait appel. Elle passe en appel 1 an plus tard. Entre-temps, les ventes en Allemagne ont continué à baisser. L’entreprise est en déficit. La cour d’appel juge sur les mêmes éléments que le TC. Or, les 3 années précédentes au moment du 1er jugement étaient positives. Dans ces conditions, la cour confirme que la fermeture est contraire la loi.

L’entreprise dépose le bilan un mois après l’énoncé du jugement d’appel.

Les règles « du jeu » ont été changées en cours de route. S’il les avait connues d’avance, notre chef d’entreprise aurait construit sa nouvelle usine en Chine pour éviter l’incertitude juridique. Il aurait eu des prix de revient plus bas.

Mais en année 3, il jugeait plus moral de faire travailler des Français…

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